Maladie professionnelle et Covid-19 : Après le risque pandémique, le risque juridique.

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Par Nadine PRODHOMME SOLTNER et Bénedicte GUY

Maladie professionnelle et Covid-19 : Après le risque pandémique, le risque juridique.

Le coronavirus ne fait pas de distinction entre les professionnels et se répand allègrement, surtout, mais pas seulement, chez ceux qui l’ignorent ou qui sont exposés dans le cadre de leur activité professionnelle. Le gouvernement s’est montré moins généreux que ce virus. Le 22 avril dernier, il annonçait la possible reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants. L’ignorance de la situation des caissiers, livreurs, chauffeurs et autres professionnels exposés pose question. Elle nous donne l’occasion de rappeler les caractéristiques du régime spécial des maladies professionnelles qui a d’ailleurs fait l’objet d’une réforme suite au décret n°2019-356 du 23 avril 2019, entré en vigueur le 1er décembre 2019.

Quelles sont les maladies professionnelles ?
Sont reconnues comme maladies professionnelles :

  • – Des maladies qui, par décret du gouvernement, sont identifiées comme telles dans le tableau des maladies professionnelles du Code de la sécurité sociale (tableau qui précise pour chaque maladie sa description et les conditions de sa prise en charge) ;
  • – Des maladies qui figurent dans le tableau mais dont les conditions ne sont pas remplies, sous réserve que le salarié prouve le lien entre son travail et la maladie dont il souffre ;
  • – Des maladies qui ne figurent pas dans ce tableau et qui sont la conséquence d’une affection directement causée par le travail entraînant une incapacité permanente partielle (IPP) à un taux de 25% ou un décès ;

Dans ces deux derniers cas, la décision (accord ou refus de prise en charge) revient à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ou au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) selon les cas.

Au titre des maladies ne figurant pas dans le tableau mais dont le caractère professionnel peut être reconnu, l’on peut citer certaines maladies psychiques telles que le burn out ou encore Alzheimer et les maladies causées par les pesticides.

Quelle est la procédure permettant de faire reconnaître le caractère professionnel d’une maladie ?
La victime doit faire constater par un médecin la présence de la maladie et son lien avec l’activité professionnelle. Ce certificat doit ensuite être transmis à la CPAM. S’agissant des maladies professionnelles, la déclaration de maladie accompagnée du certificat médical initial doit être adressée par la victime ou ses ayants droit à la caisse dans les quinze jours qui suivent la cessation du travail.

Quels avantages entraînent le bénéfice de la législation professionnelle ?
Pour le salarié exposé à un risque dans le cadre professionnel, le bénéfice de la législation sur les maladies professionnelles est largement plus favorable que le régime général. En effet, la reconnaissance de la maladie professionnelle donne droit à la majoration des indemnités journalières, au remboursement intégral des frais de santé, à une surveillance médicale et, en cas d’incapacité de travail, au versement d’une rente.
Enfin, à partir du moment où le caractère professionnel de la maladie est reconnu, la responsabilité de l’employeur pourra être recherchée sur le terrain de la faute inexcusable. Cela signifie que, faute pour l’employeur de démontrer qu’il n’avait pas conscience du danger encouru et qu’il a pris les mesures de prévention qui s’imposaient, il verra sa responsabilité engagée.
Doit-on s’attendre à une reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle ?
Préconisée par l’Académie de médecine dans son communiqué du 3 avril dernier et vigoureusement défendue par les syndicats professionnels, l’idée d’une prise en charge du Covid-19 au titre de la législation spéciale pose plusieurs questions.
En premier lieu, seul un décret permettrait l’inscription de l’infection Covid-19 dans le tableau des maladies professionnelles. Dans ce cas, si l’affection répond aux conditions posées, elle serait présumée d’origine professionnelle sans qu’il soit besoin d’en établir la preuve.
En second lieu, en l’absence d’un tel décret, la qualification de maladie professionnelle supposerait une « exposition plus ou moins prolongée au virus dans le cadre professionnel ». Le salarié devrait ainsi rapporter la preuve que l’infection est survenue par le fait ou à l’occasion du travail ; preuve qui pourrait s’avérer difficile.
Enfin, un dernier obstacle à la reconnaissance de la maladie professionnelle par le CRRMP tient dans la nécessité d’un taux d’IPP, autrement dit l’importance des séquelles – au moins égal à 25%. Si l’incapacité est permanente mais que le taux de cette incapacité n’est pas au moins égal à 25%, cette reconnaissance sera impossible.

Quel autre recours existe si la maladie n’est pas reconnue comme étant professionnelle ?
Le salarié dont l’affection ne peut pas être prise en charge par la législation sur les maladies professionnelles, et qui estime que sa maladie est imputable à ses conditions de travail, peut toujours engager contre son employeur une action selon le droit commun de la responsabilité civile contractuelle pour obtenir réparation (Cass. Soc., 28 oct. 1997, n°95-40272).
La qualification d’accident du travail peut aussi être envisagée. L’article L411-1 du Code de la sécurité sociale prévoit qu’« est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». Cependant, la reconnaissance de l’accident du travail pourrait se heurter à des questions de preuve : la période d’incubation plus ou moins longue du virus rend difficile la preuve d’un lien entre la contamination et le travail. Il faudra pouvoir déterminer avec certitude une date d’exposition au virus.

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Cette analyse met en évidence la nécessité pour l’employeur d’évaluer les risques pour adapter l’organisation au travail, de mettre en place des actions de prévention, de formation et d’information de ses salariés et de pouvoir justifier de ces actions. Le document unique d’évaluation des risques (DUER) doit donc être impérativement actualisé dans ce contexte et les mesures de prévention devront être communiquées aux salariés, au CSE et au service de santé au travail.
À défaut, le salarié infecté alors qu’il était exposé au virus dans le cadre de son activité professionnelle, pourra se prévaloir de ces manquements pour établir la faute de son employeur et faire valoir ses droits, tandis que l’employeur risque d’être lourdement sanctionné.
Tel a été l’objet du rappel à l’ordre de la Cour d’appel de Versailles dans sa décision du 24 avril 2019 à l’encontre de la société Amazon ( CA Versailles, 24 avril 2020, n° 20/01993, S.A.S. AMAZON FRANCE LOGISTIQUE ), avec une douloureuse astreinte de 100.000 euros pour toute préparation, réception ou expédition de produits non autorisés.