Existe-t-il une justice pour les victimes d’actes de pédophilie ?

Par Nadine PRODHOMME SOLTNER

Existe-t-il une justice pour les victimes d’actes de pédophilie ?

5000 enfants victimes d’actes de pédophilie en France ? 6000[1] ? Il n’y en aurait qu’un seul, que cela justifierait que tout soit mis en œuvre pour réparer ces enfants et prévenir la récidive de ces actes.

Depuis plusieurs mois, les révélations sur les affaires de pédophilie dans l’éducation nationale et dans le clergé, se multiplient. Ces faits constituent de vrais enjeux de société : parce qu’il s’agit d’enfants, parce qu’il s’agit de nos institutions. Parce que ce qui effraie le plus, n’est pas tant la triste humanité des auteurs de ces crimes, que l’inaction réelle ou crainte de l’institution. D’où ce désir de justice, cette revendication qui sonne le glas d’années de silence.

L’actuelle hallali médiatique pour demander la démission des responsables politiques et religieux, quand bien même ils n’étaient pas en poste au moment des faits, ne peut susciter l’adhésion.

La seule justice pénale n’est pas plus satisfaisante pour les victimes en raison des lenteurs de la justice (ce n’est pas moins de 38 mois qui s’imposent aujourd’hui pour voir statuer sur un crime), des questions de prescription, du défaut de prise en compte des souffrances générées par ce drame à l’occasion des procédures pénales. Car, le procès pénal n’a qu’une vocation : déterminer la culpabilité de l’auteur. Il n’a pas pour objet de soigner et de réparer les victimes. De ses observations, on serait tenté de conclure qu’il n’y a pas de justice pour ces enfants, ou ces adultes brisés dans leur enfance.

 

On peut aussi adopter une approche novatrice susceptible de répondre à d’autres objectifs, mener une réflexion à la fois juridique, conceptuelle et pratique sur les enjeux de ces drames : créer une « justice réparative » qui mettrait les victimes au centre du dispositif, en promouvant la vérité et l’écoute. Cette justice désignerait l’ensemble des mesures adoptées par les institutions (clergé, éducation nationale) pour remédier aux crimes commis dans l’exercice de leurs missions. Elle viendrait compléter notre justice traditionnelle en mettant la victime au cœur du dispositif.

Quelles sont les inspirations de cette notion ? On songe tout d’abord aux modes alternatifs de règlement des conflits dont le succès est avéré, telle la médiation ou la conciliation. Toutefois les actes de pédophilie affectent des droits dont les intéressés n’ont pas la libre disposition. Ils intéressent aussi l’ordre public. Ces procédés ne sont donc pas aisément applicables en l’espèce. En outre, la justice réparative ne doit être un moyen pour l’auteur des faits « d’éviter » un procès pénal, ou de permettre à l’institution de passer sous silence l’inacceptable. Finalement cette justice réparative s’inspirerait des principes promus par Louis JOINET et appliqués aujourd’hui par de nombreuses agences internationales et notamment l’ONU pour remédier aux conséquences des atteintes graves et généralisées aux droits de l’homme.

Quatre droits seraient ainsi reconnus aux victimes : Le Droit à la vérité, Le droit à la justice, le droit à la réparation, et le droit à la non réitération.

Le droit à la vérité : permettra de connaître les raisons et circonstances de la perpétration de ces crimes et les dysfonctionnements reconnus, de voir ces faits reconnus par les auteurs et l’institution ; de pouvoir accéder aux archives, aux notes internes…

Le Droit à la justice, garantira aux victimes le droit un procès, ou à tout le moins à la présentation aux autorités judiciaires, de l’auteur et les personnes en responsabilité.

Le Droit à la réparation les aidera à surmonter les conséquences de ces crimes pour leur permettre ensuite de se reconstruire. Le préalable indispensable est bien évidemment un temps d’écoute individualisée des victimes, afin de prendre conscience de l’étendue des dommages causés, afin que soit définies les formes que cette réparation pourrait avoir (aide médicale, psychologique, indemnisation, excuses publiques des auteurs, des responsables institutionnels, etc.).

Enfin le dernier droit, celui de non réitération, devra conduire l’institution à mettre en place des processus afin d’assurer la non récurrence des ces faits : suspension provisoire des auteurs dès la première alerte, réformes institutionnelles, accompagnement psychologique des acteurs de l’institution et formation, automatisation des sanctions disciplinaires ou d’un procès canonique… 

 

Pour y parvenir différents défis devront être relevés. Tout d’abord, évoquer en toute transparence et sincérité les crimes commis pour en faire un outil au service d’un objectif que ces institutions poursuivent depuis des siècles : protéger et aider ces enfants qui leur sont confiés. Enfin, avoir l’humilité de reconnaître les erreurs du passé et changer un système pour replacer la dignité humaine au centre de toute chose.

Le défi est immense. La cause est belle. L’urgence est de mise. La mise en place de cet outil doit être rapide et respecter une chronologie strictement définie : d’abord l’écoute des victimes et l’instauration des mécanismes de réparation, enfin le travail de prévention. C’est dans ce cadre que pourrait s’exercer cette justice réparative et ainsi, par des actes concrets, « rétablir le caractère sacré de ce qui a été profané ».

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[1] Selon l’observatoire nationale de l’action sociale décentralisée, ces chiffres loin de traduire la totalité du phénomène en raison du silence qui l’entoure, choquent également en ce qu’il est aussitôt précisé que 75% d’entre eux constituerait des cas d’inceste – Communiqué de presse de l’ODAS, 25 septembre 2002, L’enfance en danger : les constats de l’année 2001.(3) Etude réalisée par la division Personnes âgées, mineurs et atteintes aux moeurs (PAMAM).

 

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