La médiation familiale a longtemps été réservée à la résolution des dissensions nées à l’occasion de la séparation des parents, dès lors que l’enfant devient l’enjeu ou l’outil d’un conflit. Forts de l’efficacité et du succès de cette pratique, elle prend aujourd’hui la forme d’une médiation dite intergénérationnelle, dès lors que les liens familiaux se trouvent menacés, parce que confrontés à la perte d’autonomie d’un parent âgé. Cette médiation mise au service d’une solidarité familiale connaît un développement exponentiel mais reste encore trop souvent méconnue. Quelles sont les modalités et les enjeux de cette pratique confrontés aux solutions judiciaires ?
La population des plus de 75 ans sera multipliée par 2,5 entre 2000 et 2040 pour atteindre 10 millions de personnes, en raison de l’arrivée à des âges élevés de la génération du baby-boom, ainsi que de l’allongement de l’espérance de vie. Les situations impliquant les personnes âgées et leur famille devraient donc être au cœur des problématiques familiales futures. Pour cette raison et parce qu’ils permettent une approche pacifiée, adaptée au cas par cas et respectueuse des désirs et rôles de chacun, les médiateurs familiaux seront les acteurs majeurs du XXIème siècle de la prise de décision dans ce contexte précis.
En effet, le vieillissement de la population est régulièrement présenté comme une source de bouleversements, voire de problèmes, parce qu’il pose la question de l’équilibre à trouver entre solidarité familiale et solidarité collective. La question de la dépendance, souvent inhérente au grand âge, aggrave encore cette problématique. Or, la solidarité collective (qui se concrétise par la mise en place de prestations publiques spécifiques pour les personnes dépendantes), quoique de plus en plus sollicitée à la fois en raison du baisse du nombre d’enfants par famille, mais également en raison de l’éclatement géographique, ne peut pas tout. La solidarité familiale a donc un rôle différencié et essentiel pour résoudre les difficultés rencontrées par les personnes âgées.
Mais souvent, confrontée à une succession houleuse, -qui deviendra symboliquement l’enjeu d’une reddition des comptes de l’affection des parents-, ou face à la perte d’autonomie d’un parent qui imposera une évaluation de cette situation,- sujette à déni ou surestimation des capacités cognitives ou mentales de la personne âgée-, la famille s’étiole, se déchire et les solutions juridiques ne semblent pas suffisantes pour pallier ces difficultés.
Or, la présence de plusieurs générations au sein d’une même famille peut également constituer une force et un atout. C’est un vecteur d’échanges, de création de liens intergénérationnels, d’inscription des individus dans leur histoire personnelle, de transmissions…
Ainsi que le souligne Marie THEAULT[1], psychothérapeute familiale et pionnière de la Médiation Familiale en France, « cette opposition entre déclin et potentialités(…) rend compte d’une différence d’appréciation qui est au cœur des malentendus, voire des conflits qui altèrent les relations intra familiales ». Précisément la médiation intergénérationnelle permet, en faisant intervenir un tiers impartial, indépendant et qualifié d’apaiser le débat et de gérer les prises de décisions dans l’intérêt de la personne aînée et de sa famille.
La solution judiciaire est un aspect de la résolution des conflits. Mais cela ne permet que de gérer les problèmes de droit. Face à la perte d’autonomie, la mise sous sauvegarde de justice, la curatelle, voire la tutelle permettent de trouver des solutions parfois indispensables pour gérer les biens de l’intéressé. Ces mesures qui sont, soit de simples mesures d’assistance à la prise de décision pour les deux premières, soit des mesures de représentation pour la dernière, ne permettent ni d’apaiser les conflits, ni de pacifier les échanges.
Cette protection juridique a simplement vocation à protéger la personne majeure qui ne peut plus pourvoir seule à ses intérêts, empêchée par ses capacités physiques ou mentales : soit qu’elle ne puisse accomplir les actes de la vie civile, ou exercer ses droits personnels, soit qu’elle ne puisse gérer son patrimoine. S’agissant de la tutelle et de la curatelle, l’état de la personne à protéger doit présenter une certaine gravité et une permanence dans le temps. Au contraire, la mise sous sauvegarde de justice est un moyen de protection temporaire préalable à une mesure de protection plus complète. Elle n’autorise qu’un contrôle a posteriori des actes. Il s’agit dans tous les cas, d’une mesure destinée à protéger une personne fragilisée face aux pressions économiques et sociales qu’elle est susceptible de subir, ou par les moments « d’absence » qu’elle peut connaître.
A l’heure actuelle, 800 000 majeurs font l’objet d’une mesure de protection. D’aucuns ont crié à une multiplication exagérées des mesures de protection juridique, source de dissensions familiales. De fait, ces mesures judiciaires, sont lourdes de conséquences d’un point de vue humain et il importe qu’elles soient adoptées dans un contexte pacifié. Ceci explique que depuis la loi du 1er janvier 2009, le juge du Tribunal d’Instance, compétent pour ces demandes, soit invité à rechercher la protection juridique la plus légère et la moins attentatoire. Pour ce faire, le juge doit nécessairement procéder à l’audition préalable de l’intéressé.
Toutefois ces solutions judiciaires ne résolvent pas toutes les difficultés. Elles concernent les biens, éventuellement le mode de vie, mais ne sont pas synonymes pour autant de sérénité.
En effet, la perte d’autonomie d’un parent affecte la représentation des rôles et des fonctions de chacun des membres de la famille, générant culpabilité et rivalité. La médiation intergénérationnelle viendra compléter, voire se substituer à des mesures judiciaires, pour favoriser l’instauration ou la restauration de la communication intrafamiliale en suscitant des échanges directs et équitables sur les besoins et attentes de chacun, et en encourageant la mutualisation des compétences, et des moyens[2]. L’intervention d’un tiers neutre et impartial, qui créera cet espace confidentiel, de négociations entre la personne âgée et les enfants, mais également à l’intérieur de la fratrie, s’avère bien souvent indispensable et pourtant encore trop méconnue.
Le législateur ne s’y est pas trompé en intégrant la médiation dans les dispositions du code civil relatives au divorce, comme un outil d’aide à la décision. Alors, certes, le législateur ne l’a pas prévue directement s’agissant des personnes âgées. Cela n’empêche pas les proches d’une personne âgée d’y recourir, mais cela les contraint à proposer eux-mêmes ces procédures, et à constater ainsi combien juristes et médiateurs ont toutes les raisons et tous les moyens pour trouver ensemble une solution humanisée et respectueuse des spécificités de chaque situation.
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[1] Cf. notamment M. THEAULT et G. SURY, « Une nouvelle ressource pour la personne âgée et sa famille : la médiation familiale », Rev. ASH, fév.2011.
[2] Cf, art. précit.