Mots clés : Investissement, épargne, Covid 19, conseil, intermédiaire financier, conseil en gestion de patrimoine, banque, responsabilité professionnelle, placement, perte en capital, obligation de conseil, obligation d’information, nullité, dommages t intérêts
Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, le Covid-19 va entraîner un recul des investissements estimés entre -30 et -40 % en 2020-2021.
Tous les pays affichant une importante capitalisation boursière sont donc particulièrement exposés : la France en fait partie. Or, l’investissement en bourse n’est pas l’apanage des épargnants avertis ou des détenteurs de capitaux importants. Cette pandémie accentue la vulnérabilité des investisseurs que la conjonction de leur méconnaissance, la faiblesse de leur capacité financière ou la sensibilité aux outils de communication exposent particulièrement.
Ce contexte risque donc d’être à l’origine d’une multiplication des actions en justice. En témoigne la multiplication des sociétés aux États-Unis dont l’objet social est de financer des procédures judiciaires.
Cette évolution de la culture du justiciable lambda en même temps que l’écho médiatique fait aux déboires financiers de certains « montages » douteux, tel celui du groupe hôtelier Maranatha, n’ont en effet pas entrainé que les seuls investisseurs dans leur chute.
En 2018 et 2019, l’Autorité des marchés financiers (AMF) prononçait de lourdes sanctions financières contre plusieurs sociétés de conseil en placements financiers ayant fait souscrire massivement à leurs clients des produits d’investissements dans ce groupe hôtelier, présentés comme offrant toute sécurité (AMF, Déc., 11 avr. 2018, no 1, Sté Conseil Patrimoine France ; AMF, Déc. Prado Paradis Patrimoine 1er juillet 2019). Est alors mis en cause, notamment, la qualité de l’information diffusée dans le cadre de la commercialisation des produits : 6 000 épargnants à qui il a été faussement indiqué que ce placement garantissait une rentabilité de « 6 % à 8 % par an ».
Les obligations des sociétés de conseils en placements financiers ont à cette occasion été rappelées. L’AMF a estimé que les informations préoccupantes dont disposait la société de conseils sur la situation financière du groupe auraient dû la conduire à procéder à des vérifications concernant la réalité et le niveau de risque des produits Maranatha avant de les proposer à ses clients. Faute d’avoir procédé à ces vérifications, elle a manqué à ses obligations professionnelles d’information, de compétence et de diligence : « La société P…et P… Patrimoine a diffusé des informations inexactes et trompeuses auprès de certains des clients auxquels elle a recommandé d’investir dans des obligations et des actions de sociétés du groupe Maranatha », précise le communiqué de l’AMF.
La crise pandémique actuelle, qui frappe prioritairement et de plein fouet l’ensemble du secteur du tourisme et de l’hôtellerie, va générer une vague de contentieux sous forme, cette fois, d’actions en responsabilité engagées par les épargnants eux-mêmes contre tous ceux -sociétés de gestion de patrimoine, banques, courtiers etc. – par l’intermédiaires desquels ces produits ont été placés dans le public. L’objectif de ces actions en justice est clair : obtenir la réparation des pertes que ces épargnants ont subies en croyant avoir réalisé un investissement qui leur a été faussement vanté comme étant sans risque.
Deux voies leur sont ouvertes.
• L’investisseur peut tout d’abord demander au juge civil de prononcer la nullité du contrat d’investissement pour vice du consentement. Cette nullité entraînera, si elle est accueillie, l’anéantissement rétroactif du contrat de placement et la restitution à l’épargnant de toutes les sommes qu’il avait investies, opérant ainsi à la manière d’une « garantie de capital » qu’il aurait souscrite pour éviter tout risque de perte.
Les chances de voir ces actions aboutir sont élevées. Si les sociétés de conseil en gestion de patrimoine ne portent évidemment pas la responsabilité de la survenance de la pandémie actuelle et de ses conséquences dramatiques sur un marché hôtelier lourdement sinistré, il n’en reste pas moins que les investissements en cause ont été souscrits – c’est un fait aujourd’hui avéré à la suite des décisions rendues par l’AMF – sans que les investisseurs, pour une grande partie d’entre eux en tout cas, aient été dûment informés des risques de perte en capital auxquels leur épargne se trouvait exposée.
La jurisprudence de la cour de cassation ouvre assez largement ce type d’action en nullité en cas de tromperie sur les performances d’un investissement : « Mais attendu (…) que la SCI avait… assuré aux investisseurs, par l’intermédiaire de la plaquette de commercialisation, une forte demande locative et un placement sûr et rentable à court terme (…) et relevé que ces affirmations mensongères allaient bien au-delà de la simple exagération publicitaire et que c’est à partir de celles-ci que les sociétés Omnium conseil et Omnium finance avaient réalisé une étude financière personnalisée en faveur de M. et Mme X… et leur avait remis un dossier destiné à leur faire croire que leur investissement était avantageux et sans aucun risque, la cour d’appel (…), a pu déduire de ces seuls motifs que la SCI et les sociétés Omnium conseil et Omnium finance avaient commis un dol qui avait déterminé M. et Mme X… à contracter et que le contrat de vente signé entre les parties devait être annulé » (Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 14-24.164.).
• Mais l’investisseur pourrait vouloir, aujourd’hui, conserver ses placements et opter pour une action à finalité exclusivement indemnitaire. Ou décider d’exercer simultanément une action en restitution du capital investi doublée d’une demande en réparation d’un préjudice financier distinct qu’il peut estimer continuer d’éprouver malgré l’effacement de ses pertes.
Ce choix offert à la victime d’un dol, ou même d’une simple erreur, entre l’annulation ou le maintien du contrat, a toujours été admis : « La victime d’un dol peut, à son choix, faire réparer le préjudice que lui ont causé les manœuvres de son cocontractant par l’annulation de la convention et, s’il y a lieu, par l’attribution de dommages-intérêts, ou simplement par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme d’une restitution de l’excès de prix qu’elle a été conduite à payer » (Com. 27 mai 1997, n° 95-15.930; Com. 27 janv. 1998, n° 96-13.253; Civ. 1re, 12 oct. 2004, n° 01-14.704).
La faute de la société de conseil est la même dans un cas comme dans l’autre : un défaut d’information et/ou de conseil conforme aux exigences requises par le Règlement général de l’AMF et à l’obligation de transparence et de bonne foi. Ce défaut d’information a, dans un cas, vicié le consentement de l’investisseur en le conduisant à souscrire un risque qu’il n’entendait pas prendre, et lui a, dans l’autre, occasionné des pertes financières justifiant l’allocation à son profit de dommages-intérêts.
L’obligation d’information consiste à fournir au client des informations « sincères et complètes », lui permettant de déterminer l’opportunité ou non de réaliser telle ou telle opération. Elle renvoie à la notion de risque « objectif », à la qualité du produit sélectionné et à ses spécificités. L’intermédiaire financier doit à ce titre pouvoir justifier, prouver, qu’il a rempli cette obligation.
L’obligation de conseil est distincte. Elle impose à l’intermédiaire financier de donner un avis personnalisé et de suggérer une stratégie. Il a l’obligation de s’enquérir des connaissances de son client, de son expérience en matière d’investissement, ainsi que de sa situation financière. Ces obligations sont lourdes et ne peuvent être écartées par la simple mention par le client qu’il déclarerait être qualifié ou avoir des connaissances suffisantes (Com., 5 mai 2009, pourvoi n° 08-14.983, et 23 juin 2009, pourvoi n° 07-22.032).
Le préjudice indemnisable, en revanche, n’est pas le même selon l’option choisie.
Soit l’investisseur fait le choix de demander l’annulation de son placement et, dans ce cas, son préjudice réparable consistera dans la perte de chance de ne pas avoir contracté, ce qui tiendra à peu de chose si le prix de ses actions lui est de toute façon entièrement remboursé. Soit il préfère obtenir une compensation financière et, dans ce cas, son préjudice consistera en la perte de chance de ne pas avoir pu contracter à de meilleures conditions, la Cour de cassation jugeant que le préjudice réparable de la victime « ayant fait le choix de ne pas demander l’annulation du contrat [correspond] à la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses » (Com. 10 juill. 2012, n° 11-21.954).
La totalité des pertes du portefeuille consécutives à la crise hôtelière ne pourra donc, cela va sans dire, être entièrement mise à la charge du responsable du dommage. Seul le préjudice financier en lien de causalité avec le manquement de celui-ci à son obligation d’information et de conseil sera réparé, à l’exclusion des pertes que l’épargnant aurait dans tous les cas essuyées même s’il avait été suffisamment éclairé.
Difficile travail d’évaluation pour le juge d’un préjudice financier qui pourra atteindre néanmoins des montants significatifs, la Cour de cassation imposant une seule limite au juge : la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue, « sans jamais pouvoir être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si celle-ci s’était réalisée » (Civ. 1re, 9 déc. 2010, n° 09-69.490).